La création du mètre - D'après DG Editions du Seuil

"Il n'y aura qu'un seul étalon des mesures pour toute la République". C'est en ces termes que commence le décret du 15 germinal An II (7 avril 1795) adopté par la Convention Nationale issue de la Révolution.

L'uniformisation des poids et mesures était un vieux problème auquel avaient tenté de remédier nombre de souverains. Charlemagne déjà, Charles le Chauve, François Ier entre autres, ne parviennent pas à réduire le nombre "de ces mesures qui donnent le tournis" et qui sont la conséquence de la multitude de seigneuries qui parsèment le royaume.

Nous avons déjà évoqué cette ancienne diversité des poids et mesures dans le Bulletin des Amis du Vieux Seynod (1). Reprenons un exemple : l'unité de longueur était la lieue pour les itinéraires, la toise pour les terrains, l'aune pour les étoffes. Pour cette dernière il existait en Savoie l'aune de marchand et l'aune de tisserand. A Annecy, elles étaient respectivement équivalentes à 1.154m et 1.288m. Ces deux mesures différaient à Thônes, à Rumilly, à Seyssel ou Faverges...

Toise, journal, pied, pouce, aune, quart, lieue, pot..., cette effarante diversité d'unités quantitatives accumulées au fil des siècles était source d'erreurs et de fraudes et gênait l'économie.

Suite au décret du 15 germinal An II, l'Académie des Sciences de Paris nomme cinq membres formant une commission composée de Lavoisier, Laplace, Borda, Lagrange et Monge (2). Judicieusement il fut décidé de prendre une mesure-étalon tirée de la Nature, donc universelle. Après de longues réflexions et discussions, les savants décidèrent d'adopter "le quart du méridien terrestre dont la dix-millionième partie constituera la base de l'unité de longueur". Cette mesure s'appellera le Mètre d'après le mot grec ancien signifiant mesure.

Il ne restait plus qu'à mesurer une portion de ce méridien, de Dunkerque à Barcelone, par deux astronomes qui partiront de ces deux villes pour se rencontrer au terme de leurs relevés dans environ deux années, aux alentours de la ville de Rodez, chef lieu de l'Aveyron. Pour leur confort, Delambre et Méchain disposent d'une berline aménagée avec banquettes transformables en couchettes, table escamotable et rangements pour caser les instruments tels que règles, compas, table prétorienne, hygromètre et cercle répétiteur, nécessaires à la précision des angles.

Il faudra en réalité sept années à Delambre et Méchain pour venir à bout de cette entreprise géodésique sans précédent. En cause des imprévus de toutes sortes : difficultés du relief, intempéries, maladie et même méfiance des populations (peur d'une nouvelle fiscalité ?) qui ne facilitèrent pas le travail des deux savants. Il y eut aussi une erreur de Méchain à propos de la latitude de Barcelone qui compliqua l'avancée du travail.

La Savoie devenue française en 1792 suite à l'invasion révolutionnaire appliqua le décret du 15 germinal An II sur le nouveau système métrique. Mais les habitudes sont profondes. Ainsi un notaire d'Annecy dans une vente de terrain, indique sa contenance de 14 ares, 50 et demi de sémature. Le quart de sémature dans notre région représentait la superficie de terrain nécessaire pour semer 20 litres de grains.

Dans un contrat de fermage près de Rumilly daté de 1808, soit seize ans après le décret, toutes les unités de poids de récoltes sont anciennes : quart de coupes et livres "poids du pais".

Il faudra attendre l'édit royal du 11 septembre 1845, la Savoie ayant fait retour dans le royaume de Piémont-Sardaigne en 1818, pour que le système métrique soit définitivement appliqué. Et pourtant, jusqu'au milieu du XXe siècle on parlera encore de journaux de terrain, de quart de grains et n'emploit-on pas toujours la livre ou la demi-livre sur les marchés ?

 

(1) - Bulletin des Amis du Vieux Seynod 2002 n°17 p.13

(2) - Gvedj Denis - Le mètre du monde - Ed. du Seuil