La reliure - Maurice Druge

Présents depuis de nombreuses années comme artisans relieurs lors de la fête annuelle des Amis du Vieux Seynod de septembre, Mr et Mme Druge de St-Jorioz exercent cet art difficile mais passionnant devant les nombreux visiteurs intéressés. Ceux-ci posent de nombreuses questions auxquelles nos amis relieurs répondent avec gentillesse et précision. Pour tous ceux qui, pris ce jour-là par l’organisation de la fête ne peuvent les écouter, Mr Druge a bien voulu, et nous l’en remercions vivement, nous écrire cet article sur l’histoire de l’écriture, de l’imprimerie puis de la reliure.

La reliure est une activité artisanale, voire artistique, dont chacun connaît et apprécie le résultat. C’est aussi un travail industriel nécessaire pour les grands tirages. Le mot est apparu en 1518 nous dit le dictionnaire Robert, peu après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg.

L’imprimerie permit alors de multiplier les pages écrites rapidement et à bon marché. Il devint nécessaire de classer, organiser les feuilles dans leur succession en les liant pour éviter le désordre. C’est ainsi que la reliure ne pouvait que se développer, pour permettre la diffusion du savoir.

Mais que s’était-il passer auparavant ? Les hommes ont commencé à communiquer par des sons, peu à peu articulés, pour devenir des paroles de plus en plus différenciées. C’est du moins ce que l’on peut imaginer.

C’était un énorme progrès,  mais imparfait. En effet, les paroles s’envolent : la mémoire est infidèle et on oublie. D’où l’idée de confier nos idées, nos informations à des supports matériels durables.

Apparaissent alors, il y a 6000 ans, les cunéiformes sur des tablettes d’argile, en Mésopotamie. Ailleurs il y a des peintures et des gravures rupestres. Puis en Egypte se développent les hiéroglyphes, dérivés de dessins peu à peu stylisés. On les a trouvés sur les monuments anciens et sur les papyrus. Avec le temps les dessins se sont simplifiés à l’extrême pour rendre compte de la parole avec un nombre limité de signes. 

C’est la naissance des alphabets. La communication entre les hommes en profite et se développe dans des groupes de plus en plus nombreux. Les copistes du Moyen âge peuvent fixer nos connaissances et les transmettre. On peut imaginer qu’ils le font avec enthousiasme puisque les manuscrits sont le plus souvent décorés, enluminés. Ce sont de véritables chefs d’œuvre, des œuvres d’art admirables. Un livre, c’est souvent un an de travail qui trouve sa place chez un prince soutenant les copistes financièrement.

A l’apparition des premières universités, l’instruction ne pouvait être diffusée qu’oralement à de petits groupes, à moins de multiplier les livres en de nombreux exemplaires. Les copistes ont essayé de produire des copies. Ce fut peu efficace en raison de la lenteur du procédé.

C’est alors qu’apparaît l’imprimerie ; d’abord par des plaques gravées représentant chacune une page, puis avec des lettres rassemblées qui pouvaient resservir indéfiniment. Merci Mr Gutenberg.

La reliure devint alors une nécessité pour organiser toutes ces feuilles. C’était un travail d’artisan qui permit de répandre à peu de frais la connaissance. Ce travail « imprimerie-reliure » s’est peu à peu perfectionné pour être plus efficace. Aujourd’hui, c’est une activité mécanisée, industrielle, automatique.

Au salon du Livre de Paris, l’école Estienne, la grande école des Arts graphiques a présenté une machine de 8 à 10 mètres de long qu’on alimente avec un rouleau de papier. La machine imprime, coupe en feuilles et les relie automatiquement en quelques minutes. Elle produit de cette façon un exemplaire par minute.

Quel progrès ! me direz-vous. J’en conviens, mais je dois constater que cette efficacité a un prix. Le livre n’est plus un objet d’art. Il n’y a plus d’enluminure. Le coup de patte de l’artisan n’est plus visible, avec ses petites imperfections. C’est parfait mais banal. Certains le regrettent. C’est pourquoi la reliure d’art exercée manuellement perdure.

 Dans notre département de Haute-Savoie, il y a encore aujourd’hui plus de cent personnes qui relient à l’ancienne tel ou tel ouvrage auquel ils tiennent. On relie ainsi les mémoires du grand père, une relation de voyage, celle d’un évènement familial…ou tel ouvrage ancien un peu éclaté et qui n’est plus édité. Sans aller jusqu’à l’enluminure, on habille le livre de cuir, de marqueterie, de papiers décorés à la main.

On trouve encore les outils traditionnels : presses, cisailles, cousoirs, plioirs…, de même que la matière d’œuvre : cartons, papiers divers, fil, colle. Mais il faut aller jusqu’à Paris pour cela.

Et l’avenir ? Que peut-on envisager pour communiquer demain ? Quels progrès peut-on attendre ? On sait déjà que l’informatique, la photocopie, les CD, les DVD sont présents dans tous les foyers pour collectionner, reproduire à titre individuel. Ne sommes-nous pas submergés par cet excès d’informations ?

Il me plait de rêver qu’il restera cependant quelques passionnés par une création personnelle sans doute imparfaite, mais unique.

Pourquoi pas un livre, une reliure, un objet artisanal ou artistique ?