Souvenirs - Archives Martinod 2ème partie
LA LESSIVE
Avant la guerre de 1939, il n'y avait pas de machines à laver le linge, la lessive se faisait trois fois par an : en principe en début de printemps, avant l'été et en fin d'automne, cela durait deux ou trois jours, pour la circonstance on embauchait toutes les femmes du village.
Le premier jour pour "dégrossir" le linge qui trempait depuis la veille ;
Le deuxième jour pour "faire couler" dans un grand récipient en bois qu'on appelait cuvier, on disposait le linge en mélangeant de la cendre de bois, puis on versait de l'eau bouillante dessus. Le liquide recueilli s'appelait "licieux". On recommençait l'opération plusieurs fois de suite ;
Le troisième jour était consacré au "rinçage" : on ressortait tout le linge du cuvier pour le mettre dans de grands baquets qu'on chargeait sur une voiture à cheval pour aller le rincer au bassin communal de Vieugy à l'ancien chef-lieu. Au retour on tendait des cordes pour étendre le linge et le faire sécher.
AH LE COCHON ! C'était le grand branle-bas !...
Chaque automne on allait à la Foire Saint-Maurice à Thônes pour acheter un cochon, là il y avait le choix on choisissait toujours un cochon "moyen" qu'on engraissait l'hiver avec les déchets de cuisine. En février, avant de le tuer, on le gavait un peu plus...
Alors arrivait le jour de la victime... il y avait du travail pour tous... mais la veille déjà il fallait penser au saloir à nettoyer sérieusement, on le raclait pour enlever les graisses anciennes qui avaient pénétré dans le bois. Après l'avoir lavé et relavé, on le laissait sécher. Pendant ce temps on allait à la montagne couper le genièvre, si possible avec les graines, que l'on brûlait ensuite à l'intérieur du saloir pour le "fumer", puis on le retournait à l'envers recouvert d'une bâche pour éviter que la fumée s'échappe. Cette opération terminée, avec de l'ail, dont on avait enlevé le germe, on frottait les parois intérieures.
Après toutes ces opérations on était sûr d'avoir un bon saloir qui allait recevoir la viande découpée, recouverte de saumure, qui se conserverait plusieurs mois (à l'époque il n'y avait pas de congélateur !).
La matin du grand jour... très tôt, il fallait allumer la chaudière pour faire chauffer l'eau, préparer la "pâtière" où serait entreposé, une fois tué, le cochon pour être rasé... Ensuite, on l'attachait sur une échelle dressée pour l'ouvrir et enlever tout la "ventraille"... Ce n'est que plus tard que la viande était découpée.
Il fallait laver les boyaux à l'eau courante avant de faire les boudins, cuits dans la chaudière, avec lesquels on se régalait... On en faisait aussi profiter les voisins ainsi que Monsieur le Curé à qui on donnait également un morceau de viande.
J'oubliais le plat que l'on mangeait le jour même "la frekacha". On l'appelait ainsi parce qu'on utilisait "la saignée" du cochon, c'est-à-dire la viande qui entourait l'endroit où le boucher avait planté son couteau qui était un peu sanguinolante...
Il y avait le jambon qu'il fallait mettre dans le saloir un certain temps avant de le faire fumer. Pour le fumage, c'était une technique particulière car il ne fallait pas trop "chauffer" la viande pour éviter de faire fondre la graisse. Pour faire de la fumée épaisse on brûlait encore du genièvre ou de la sciure de bois, il fallait beaucoup aérer le fumoir.
Il y avait aussi, j'allais oublier et pourtant c'était fameux, les deux pieds avant que le boucher avait vidés en prenant soin de ne pas percer la peau et que l'on bourrait d'un mélange de viande hâchée assaisonnée avant de recoudre le sommet. Ces pieds étaient mis au saloir.
Les tripes, après avoir été bien nettoyées, elles aussi été cuites dans la chaudière, après les boudins, puis on les blanchisssait sur une planche avec une cuillère à soupe. En principe on les mélangeait à une fricassée de pommes de terre. On fabriquait aussi des pâtés, des saucissons et des saucisses.
Lorsque tout était terminé il fallait tout remettre en place, laver la "pâtière", le "plôt" qui avait servi à découper la viande avant sa mise au saloir. Le boucher lavait son outillage dans de l'eau bien chaude, le remettait dans son grand panier en osier et avant qu'il ne reparte on lui faisait "casser la croûte" arrosée d'un verre de vin... Bien souvent quand venait le soir il était bien fatigué... et son panier bien lourd à porter... on le ramenait chez lui content d'avoir terminé sa journée !
J'ai oublié de vous dire que les jours suivants les ménagères avaient encore du travail : il fallait faire fondre la graisse et remplir les toupines de saindoux. Avez-vous goûté les déchets de cette graisse que l'on appelait "grâtons" ? On les mangeait mélangés à une fricassée de pommes de terre.
Il y avait aussi la gelée que l'on faisait avec les os (notamment des pieds) qui étaient cuits dans de l'eau puis raclés pour récupérer la viande restante, ensuite on remettait le bouillon dans une marmite avec la viande effilochée, on assaisonnait, on laissait réduire puis le tout était versé dans un grand plat creux. En refroidissant ce mélange gélifiait, le lendemain on le dégustait avec une vinaigrette persillée. C'était très apprécié et mettait en appétit en début de repas.
LES FOIRES
Elles étaient plus fréquentes que maintenant ! Il y avait des vaches, génisses, chevaux. La foire de Chavanod au mois de septembre était spéciale pour les poulains. Mon frère Louis, mort à la guerre de 1939/45, était passionné de chevaux. Il fut un temps où nous en avions deux, achetés à Chavanod, et dressés pour lui.
Ensuite, il y avait la Saint-Maurice de Thônes où on allait acheter le cochon à engraisser, elle aussi était très importante.
Enfin, la Saint-André d'Annecy le premier mardi de décembre, de nombreux forains et maquignons avec chevaux, boeufs, vaches, chèvres, moutons sans oublier tout le matériel agricole. C'était la bamboula... les restaurants étaient complets, le matin il y avait l'assiette de bouillon où on ne ménageait pas le fromage, à midi tripes et "frikacha" et le soir pour clôturer une journée bien chargée (!) la soupe à l'oignon. Vous voyez on ne risquait pas d'avoir faim... ni soif !