Villages d'accueil - Gilbert Viviant
Par ce titre, nous abordons un aspect social important du passé des communes proches d'Annecy au XIXème siècle. Ce fait de société était l'enfant naturel abandonné et placé ensuite en familles d'accueil.
Dès le début de l'ère industrielle, le nombre d'enfants nés hors mariage augmenta de façon alarmante. La création d'usines dans les villes draina une main-d'oeuvre nombreuse. La Manufacture de tissage d'Annecy compta en 1860 jusqu'à mille huit cent employés, en majorité des jeunes femmes.
On imagine dans quelles conditions devait vivre au quotidien cette nouvelle population citadine souvent d'origine campagnarde, en perte de repères, mal logée, confrontée à des individus sans scrupules. Que pouvait faire une fille mère travaillant jusqu'à quinze heures par jour ? Son maigre salaire ne pouvait supporter une mise en nourrice. Alors bien souvent, elle devait se résoudre à abandonner son enfant en espérant pour lui un sort meilleur.
Au petit matin les premiers travailleurs découvraient sous les arcades de la rue Filaterie ou de la rue Sainte-Claire une corbeille où dormait un bébé de quelques jours voire de quelques heures. Sur un petit billet épinglé aux langes on pouvait déchiffrer : "mes bonnes soeurs je désire que sette petite s'appele Françoise " ou "je n'ai pas de quoi le nourrir" ou encore "je prie ces messieurs d'en prandre soin". Recueilli par les passants, l'enfant était aussitôt remis à une organisation hospitalière de la ville.
Aux structures d'accueil communales ou bénévoles d'Annecy du XIXème siècle fut substituée l'administration des Hospices sous l'impulsion admirable de Jules Philippe, Louis Chaumontel, Camille Dunant et Aimé Levet.
Il fallait sauver ces enfants pas seulement nés à Annecy mais aussi d'ailleurs, en leur trouvant sous conditions des familles d'accueil. Ainsi, contre rétribution et après enquête, des familles de villages proches d'Annecy dont Seynod élevèrent des "enfants de l'Assistance".
Selon des critères de bon sens, l'Administration après enquête attribuait un salaire mensuel aux parents nourriciers ainsi qu'un trousseau annuel complet pour l'enfant (1).
Dans chaque commune fut mis en place un comité de patronage composé du maire, du curé et de quelques villageois, qui avaient droit de regard sur la famille d'accueil et sur l'enfant. Celui-ci devait être traité avec humanité, aller à l'école, être vacciné, ne pas être employé à des tâches au-dessus de son âge etc...
Mais dans la très grande majorité des cas, les pupilles étaient traitées commes les autres enfants de la maison. Plus tard ayant grandi, ces enfant, toujours suivis par l'Administration, étaient placés en apprentissage chez des artisans pour les garçons ou comme employées de maison pour les filles; enfin quelques uns restaient parfois leur vie entière dans leur famille d'adoption.
(1) HERMANN, Marie-Thérèse, Les enfants du malheur. Le drame des enfants trouvés en Savoie, au XIXème siècle. Les Savoisiennes, Carandera 1988. Cet ouvrage pathétique contient en outre une mine d'informations sur l'essor industriel savoyard au XIXème siècle.